Installation > Chars, Mémorial Montormel, 2010
 

Chars
Carte blanche pour une création au Mémorial de Montormel-Coudéhard
Exposition organisée par l’Office Départemental de la Culture de l’Orne

« Deux chars presque jumeaux. Face à face. Leurs canons dirigés l’un vers l’autre.
On ne verrait d’abord que le tissu rouge.
Ce serait un drapeau. Un drap de peau. Une ligne de démarcation. Une frontière départageant deux espaces. Une ligne de vie. Un fil conducteur. Une bande  rouge qui s’agite à l’air, au vent.
Du rouge, le rouge qui tremble et frémit, en contact avec l’air. Mis en mouvement par les éléments. Aux prises avec le vent la pluie, aux prises avec la vie et plein de vie.
On ne verrait que cette longue bande rouge traversant l’espace, comme en suspens au dessus de l’horizon.
Ensuite viendraient les chars, on les verrait seulement dans un deuxième temps.
Des chars transparents beaucoup moins visibles que la bande rouge.
Je les voudrais charnels, plein de veines.
Des chars de chairs.
Sur le site du Mémorial les tanks comme emblème de guerre. Mais aussi : des bijoux sur leur écrin ou des mannequins mis en scènes, théâtralisés. Et hermétiques comme la guerre elle-même à ceux qui ne l’ont pas vécue.
Ouvrir mes chars pour qu’on puisse voir le paysage au travers.
 L’un se voudrait plus sauvage que l’autre, comme un dessin raturé. Une griffure dans l’espace.
 Des branches jaillissant comme des artères qu’on aurait tranchées.
Pourtant de prés les chars auraient quelque chose de moins agressif, de moins offensif.
 Leur fer forgé ne serait pas le fer de la guerre.
« La guerre c’est un morceau de fer qui rentre dans la chair « (Jean-Luc Godard).
Le fer de ses chars se courberait en volutes s’harmonisant avec le paysage.
Paysage si bucolique, si champêtre de Coudéhard-Montormel s’offrant maintenant à notre vue comme un paysage de Patinir lorsque ses ciels sont gris bleutés après la l’orage.
Le fer forgé de ces chars aurait pu être celui d’anciens lits d’enfants. Mais ici il serait rouge et recouvert du tulle noir du deuil. Tulle tendu sur la structure de fer comme une peau et la laine enfilée dans ses pores.
Présence animale de la laine (les bêtes autant que les humains étaient massacrés pendant cette bataille).
Présence féminine aussi, par la broderie.
Et puis, après longtemps, la végétation morte des branches coupées au dedans se mélangeant à la végétation sauvage et vivante qui vient remplir de vie les chars. »  

Marie-Noëlle Deverre